Pourquoi Gabriel Attal ringardise encore l’Église catholique
Á première vue, on pourrait croire que les prises de positions du nouveau Premier Ministre, dans sa Déclaration de Politique générale auraient de quoi séduire l’épiscopat catholique français. Il réaffirme l’autorité, la sécurité, la valeur du travail, toutes valeurs que l’Église catholique honore.
Mais Gabriel Attal a bien pris soin de rappeler que ces marqueurs n’empêchent pas la France de bouger et de s’adapter aux attentes des générations nouvelles. Que l’on ne saurait revenir en arrière, mais que l’avancée qu’il propose tient compte de l’évolution du monde. Parmi les sujets de fierté que revendique le Premier Ministre, il a gardé pour la fin une annonce choc. Rappelant que dix ans seulement nous séparent des tensions liées à la loi sur le Mariage pour tous, il a lancé : « Être Français en 2024, a-t-il dit, c’est pouvoir être Premier ministre et ouvertement homosexuel ». Et de fait, qui a manifesté la moindre crispation devant l’annonce de cette situation personnelle ? Personne. La France est désormais paisible sur le sujet, à condition de ne pas oublier que trop de personnes homosexuelles sont encore victimes de comportements hostiles.
Cette banalisation de l’homosexualité rend la position catholique sacrément ringarde. En effet, l’heure n’est pas à ce qu’un pape puisse dire : « Être catholique, c’est pouvoir être pape et ouvertement homosexuel ! ». Parlant, dans ce cas-là, d’une orientation, non d’un exercice de la sexualité. Sur la question homosexuelle, Rome et l’Église de France cultivent le double langage et rivalisent d’ambiguïtés. L’une et l’autre soufflent le chaud et le froid, sans parvenir à apurer le passif de leurs préventions.
Le pape François a fait un important pas en avant dans la déclaration doctrinale du 18 décembre dernier en autorisant les bénédictions de couples homosexuels. Mais la restriction vient derrière. Celle de « ne pas créer de confusion avec la bénédiction du mariage[1] ». En clair, j’autorise, mais ne confondons pas ; votre union restera toujours une union, jamais un mariage.
En France, la déclaration romaine a suscité quelques remous et creusé davantage encore la profonde division de l’épiscopat français. Monseigneur Aillet, évêque de Bayonne, suivi des neuf évêques de l’Ouest se sont hâtés de restreindre la portée du message du pape en demandant que la bénédiction soit donnée à chaque personne individuellement. Le premier ajoute que cette bénédiction devait être assortie d’un « un appel à la conversion », tandis que les seconds envisagent cette déclaration comme une possibilité et non une obligation. Enfin, au début janvier, une déclaration de la Conférence des évêques de France appelait, elle, à « un accueil inconditionnel de tous », tout en distinguant bien cette bénédiction d’un mariage. En somme, s’il y a une certaine évolution, elle est bien lente. Celui qui tire en avant se heurte à celui qui freine par derrière. Les mentalités catholiques ressassent leurs préventions….
De son côté, Rome plombe le sujet avec son fameux article 2357, tiré du Catéchisme de l’Église catholique de Jean-Paul II (1992), qui persiste à tenir pour désordonnés les actes homosexuels : « La Tradition a toujours déclaré que les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés. Ils sont contraires à la loi naturelle. Ils ferment l’acte sexuel au don de la vie. Ils ne procèdent pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable. Ils ne sauraient recevoir d’approbation en aucun cas[2] ».
Cet a priori a pour conséquence une autre interdiction que l’on doit à Benoît XVI, celle de rejeter l’accès au sacerdoce et au diaconat des candidats homosexuels[3]. Si le pape a bien été obéi, il n’y aurait donc ni prêtres ni diacres homosexuels. Or, qui, après la lecture du Sodoma de Frédéric Martel[4], ne s’esclafferait, tant la réalité crie le contraire ? Rome où, selon l’auteur, l’on compte si peu de tenants de l’hétérosexualité, qu’ils s’en trouvent mal à l’aise… Et comment ne pas voir que l’interdiction de Benoît XVI ajoute un fardeau de plus sur les épaules des prêtres et religieux homosexuels, tant elle les oblige à parler contre eux-mêmes?
Tant que Rome posera un jugement de principe aussi dépréciatif sur la sexualité homosexuelle, l’Eglise catholique ne saura pas accueillir sans arrière-pensée une personne homosexuelle. C’est pourquoi la simplicité de Gabriel Attal, en pleine Chambre des députés, pousse encore davantage l’Église de France dans les décors du passé.
Elle fait ressortir un double paradoxe. Le premier est l’immense difficulté d’une institution faite pour le monde mais qui s’en éloigne tellement qu’elle ne trouve plus en elle assez de voix pour faire accepter un changement sociétal attendu. Le second est qu’elle n’a de raison d’exister que pour obéir à l’Évangile, mais qu’elle laisse la masse des traditions acquises pendant sa longue histoire en obscurcir le commandement central, celui de l’amour.
Anne Soupa
[1] Fiducia supplicans.
[2] Article 2357.
[3] 29 novembre 2005.
[4] 2019.