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Lettre n° 39 Les oubliés de l’histoire, autant de frères et sœurs inconnus

6 mai 2025/dans blog, une/par Anne Soupa

 

Chers amis, chères amies

Il y aurait tant de choses à dire ce mois-ci ! Parler du pape, celui qui nous a quittés et celui qui va sortir du conclave, évoquer, le 1700e anniversaire du concile de Nicée, le 20 mai, qui nous a donné le Credo, cette prière proclamée lors de la messe, aujourd‘hui questionnée… Oui, j’aimerais parler de tout cela, et sans doute y reviendrai-je bientôt.

Mais aujourd’hui, je vous propose d’aller « ailleurs », là où personne ne va en ce moment. En effet, devant cette exaltation actuelle de « figures hors du commun », de célébrités, durables ou éphémères, devant ce culte du moi que Trump impose au monde chaque jour, peut-être me suis-je sentie poussée, comme par un balancier intérieur, vers l’opposé de ce que notre société met en lumière de façon souvent déraisonnable : tous les effacés de l’histoire dont nous n’avons jamais rien su.

 

Il faut dire que la célébration actuelle des 80 ans de libération des camps d’extermination m’a poussée à ce travail de mémoire. Les familles et associations juives font leur possible pour garder la mémoire de leurs disparus, et c’est à la fois nécessaire et heureux.

Nécessaire parce que ces 6 millions de personnes ont existé, qu’elles sont allées à une mort atroce par la folie d’un seul et de beaucoup qui l’ont suivi, qu’elles n’ont pas eu de sépulture, et qu’elles risquent de disparaître une seconde fois, par privation de mémoire.

Heureux parce que le travail des associations juives fait du bien. Il remet ces hommes, ces femmes et ces enfants au cœur de l’histoire du monde, dans notre patrimoine commun, celui qui fait de nous ceux et celles que nous sommes. Tous ont souffert – et nous avec eux- d’une exclusion insupportable. Leur mort a amputé l’humanité.

 

Mais cette tragédie de l’exclusion n’est pas la seule de l’histoire. D’autres, innombrables, ont existé, individuelles ou collectives. Parmi elles, il me semble repérer deux catégories.

La première est celle de ceux et celles qui sont morts seuls, mais dont la mémoire a survécu. Morts dans des conditions tragiques, victimes du goulag, de Pol Pot, du covid, disparus en mer, ou en montagne, saisis par la lave à Pompéi, ou anéantis par un tremblement de terre… Aucune main serrée, aucun échange, aucune relation… Intense sentiment d’abandon des disparus, intense sentiment de culpabilité des survivants….  On voit que ce qui a manqué, c’est la relation. Or, la relation, c’est la vie.

S’ils ne sont pas exactement ces oubliés absolus dont je veux parler, ils le sont en partie, car leur mort aura laissé ce sentiment d’oubli si difficile à dissiper. Pour leurs proches, le deuil est plus difficile, le travail de mémoire plus fragile. Je comprends ce souhait de Paul Ricoeur parlant de sa fin prochaine et souhaitant avoir une main amie auprès de lui !

Mais il y a un autre type de tragédie plus difficile à appréhender. Ce sont celles que l’œil n’a jamais vu, que l’oreille n’a jamais entendu, celles où même la mémoire n’a pas été possible. Dans ces circonstances-là, c’est toute l’existence d’une ou de plusieurs personnes qui sombrent dans un oubli qui est absolu.

Ainsi, des civilisations sont mortes sans qu’on les connaisse, des auteurs ont fait l’objet d’autodafés, des leaders talentueux, doués de projets qui auraient été utiles au monde, portant des causes de tout type, parfois baroques, mais souvent dangereuses pour le pouvoir en place, des gens qui voulaient être libres ou solidaires de leurs prochains maltraités, ont été persécutés.

Pour qu’ils se taisent, pour les effacer de la mémoire des vivants. Nier à un être humain le fait d’avoir appartenu à l’histoire, donc d’avoir vécu, me paraît être l’un des crimes les plus atroces dont nous soyons capables. Et pour les victimes, si elles ont pu s’en rendre compte, une insupportable souffrance. Parfois l’effacement de la mémoire collective aura été le fait de hasards, de malchances, ou de haines personnelles, parfois si futiles qu’on en a honte pour ceux qui les ont commises.

 

Devant ces oubliés de l’histoire, relatifs ou absolus, comment nous comportons-nous ? Deux exemples me viennent. Le premier est celui du Collectif « Les morts de la rue ». En rendant leur nom aux morts de la rue, en l’écrivant dans des journaux qui en assurent la publication régulière, il les « relève de l’oubli ». Ainsi, en creux, leur histoire transpire de cette simple nomination.

L’autre montre la difficulté que nous avons tous à « saisir » cet oubli mémoriel. Une longue histoire, bien française, a abouti à la création d’un lieu de mémoire du soldat inconnu après la guerre de 14-18. Elle commence en 1916 avec une demande du président du Souvenir français, association créée après la guerre de 1870 qui fleurit les tombes de ceux qui sont « morts pour la France ». Il souhaite qu’un combattant ignoré entre au Panthéon. Finalement, les Chambres votent en 1920 : ce sera sous l’Arc de triomphe.

Ces deux exemples nous enseignent que la motivation dominante de la cause est ailleurs. Le mot « inconnu » est accessoire par rapport à celui de « soldats morts », de même que celui de « morts » l’est par rapport à « dans la rue ». Nous rechignons à regarder en face l’absolu d’un effacement. Les historiens sont souvent confrontés à ces questions. Eux ont su s’habituer à l’idée que l’histoire qui nous parvient est toujours partielle et infidèle. Oui, l’oubli peut être total et donc est indépassable, jamais nous ne saurons…

 

Et chacun de nous, comment peut-il appréhender la réalité de l’oubli ? Certes, nous convaincre de la réalité de ces existences vécues et oubliées, et nous sentir redevables envers elles, non par dette, mais par la conviction d’une perte. Certes, nous pouvons laisser des pages blanches dans nos esprits, un peu comme l’assiette du pauvre sur les tables d’autrefois… « Pas sans l’autre », disait Michel de Certeau. L’autre d’aujourd’hui, mais aussi celui d’hier.

Mais une question demeure : Où vont ces oubliés ? Ma réponse ne vous surprendra pas, elle vient de Dieu, par la voix du prophète Isaïe : « Moi, je ne t’oublierai pas (…). Vois, je t’ai gravée sur les paumes de mes mains (Is 49, 15-16), Oui, les oubliés de l’histoire sont en Dieu, accueillis comme le Bon Larron, et c’est devant la Croix que nous les honorons.

Jésus, dont le premier et le plus impérieux de ses combats a été le refus de l’exclusion, est mort en paria, en exclus. Si Joseph d’Arimathie et Nicodème n’avaient pas été demander à Pilate son corps pour l’ensevelir -pour en garder la mémoire-, et si son Père ne l’avait tiré du tombeau, Jésus aurait pu être l’un des exclus dont il est ici question.

C’est l’un des aspects de la foi en la Résurrection auquel nous faisons rarement attention : elle réintègre, elle abolit toute exclusion et refait le corps de l’humanité fracturée.

Si c’est en croyant que nous pouvons en-visager tous ces oubliés de l’histoire, ce n’est pas pour autant que nous en serions quittes. La Croix est provocation pour aujourd’hui, elle exhorte à ne pas exclure, elle pousse à un devoir de relation, dans l’espace comme dans le temps. C’est là l’un des fondements du christianisme.

Anne Soupa

 

 

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Anne
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Pour les catholiques qu’une structure obsolète accable, je suis un tout petit, petit, coin de ciel bleu. Une figure de résistance, d’espérance peut-être, qui dit non quand elle pense devoir dire non et qui essaie de ne pas céder à la peur, ce fléau dont nos esprits sont si souvent affligés.

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