Les mystiques, les sages, et tous ceux qui le sont sans le savoir
Á gauche, piétons ! Á droite piétons ! Et de plus, le passage clouté pour piétons est devant, au-delà d’une palissade fermée. Magnifique exemple de double bind, la double contrainte qu’ont débusquée et analysée depuis longtemps les spécialistes de la communication de l’école de Palo Alto.
Au-delà de cet exemple amusant, la cruelle double contrainte s’installe souvent dans nos existences. Que de fois tous les chemins semblent fermés ! Un seul exemple : celui les enfants abusés pour qui parler est à la fois indispensable et interdit, puisque leur abuseur exige le silence.
Dans les cas de double contrainte plus ordinaires qui peuvent se présenter, comment en sortir ? Parfois, ce sera de refuser l’une des contraintes, de se libérer d’une obligation qu’on avait peut-être soi-même construit, ou s’être laissé imposer.
Parfois la sortie sera dans le compromis ; on acceptera une part de l’une des obligations, et une part de l’autre.
Parfois, elle sera dans l’humour, ou la communication sur la non-communication, qui alerte au moins sur l’impossibilité de communiquer causée par la double contrainte.
Parfois, on ne décidera pas. On « bloquera », on fera du sur place.
Parfois on prônera le « en même temps ». On vivra écartelé, mais convaincu que c’est la bonne méthode. En acceptant les dégâts collatéraux pour un bénéfice jugé plus important. Et que les lendemains tranchent !
Ces doubles contraintes ont été étudiées par les écrivains et les psychologues, mais je ne suis pas sûre qu’on ait fait appel aux mystiques, aux sages et à tous ceux qui le sont sans le savoir, pour y répondre.
On découvrirait que ni les mystiques, ni les sages et tous ceux qui le sont sans le savoir ne sont désemparés devant la cohabitation des contraires, ce qui est un peu différent, mais s’y apparente. Comment l’expliquer ?
D’abord, parce qu’ils ont accepté leurs propres contraires intérieurs, dans une sorte de contemplation sur eux-mêmes. Ils sont bons et pourtant ils font le mal, ils veulent une chose et son opposé, ils répugnent parfois à choisir, leurs actes sont incohérents. Et ils finissent souvent, au terme d’un travail éprouvant, à dépasser le déni et un volontarisme destructeur pour s’estimer dignes, et même heureux de se découvrir, comme Zachée, l’hôte de plus grand qu’eux. Des anges servent Jésus victorieux des tentations. Preuve que ce combat redresse, qu’il est pour la vie.
Les mystiques, les sages et tous ceux qui le sont sans le savoir ont aussi combattu pour vivre loin du pouvoir – j’entends de leur aspiration intime au pouvoir -, ils ont refusé la vanité, les engouements, les postures faciles, les modes, les addictions. Ils gardent les yeux ouverts sur ces réalités contraires. Ils y gagnent deux particularités qui me semblent rares et précieuses.
Tout d’abord, ils acceptent le réel. Et le réel est le lieu de toutes les contradictions. Trop souvent, il n’est même qu’une gigantesque cacophonie. Pourquoi des enfants naissent-ils avec des handicaps ? Pourquoi la terre se met-elle à trembler là où il y a des villes ? Pourquoi certains sont-ils poussés, à leur corps défendant, à ne plus vouloir vivre ?
Et pourtant, c’est avec le réel qu’il faut négocier. Négocier n’est ni cautionner, ni justifier. Mais prendre acte de que qui est, pour vouloir le transformer au besoin.
La seconde particularité des mystiques, des sages et de tous ceux qui le sont sans le savoir est de refuser le tout blanc et le tout noir. Ce charisme de la nuance fait de leur esprit une sorte d’arche de Noé, où ils installent l’ensemble du vivant. Ils savent que le serpent a le droit de vivre, lui « le plus rusé des animaux des champs que Dieu a faits ». Ils savent aussi que les éléments, les situations ne sont pas que binaires. Il existe mille et une nuances pour les qualifier et éviter de condamner trop vite. Dans l’exemple des enfants abusés, les nuances seraient précieuses. Elles permettraient de relativiser des appréciations tranchées et d’alléger de trop lourds conflits de loyauté.
Est-ce à dire que les mystiques, les sages et ceux qui le sont sans le savoir sont clivés en deux parts irréductibles ? Certes non, ils ne sont pas des Janus qui s’ignorent, mais ils se promènent sur tout le spectre des possibles. Du bout des contraires jusqu’à la nuance infime. Ils accueillent tout, la beauté du monde et sa cruauté, l’absence de Dieu et sa présence, le masculin et le féminin, le mal et le bien qu’ils font et celui qu’ils reçoivent. Et de tout, ils acceptent que même l’énoncé soit contestable. « Tout accueillir, » disait Simone Weil, « mais mettre chaque chose a sa place ».
Cette familiarité avec les contraires prédispose les mystiques, les sages et tous ceux qui le sont sans le savoir à accueillir sans effroi les doubles contraintes. Mais aussi à savoir que pour trouver la manière d’en sortir, ils seront au pied du mur, comme tout le monde. Si leur conscience en sera plus éclairée, c’est pour leur rappeler que la double contrainte est une réalité de l’existence, que devant elle ils n’ont pas à se poser en victimes, mais en acteurs d’une issue honorable.
Anne Soupa
Merci Anne oui le travail de chaque jour prise de conscience et vivre et agir selon l evangile
Merci de mettre des mots. C’est ce qu’on essaie de faire sans le savoir. Mais souvent, on n’y arrive pas.
Oui les doubles contraintes sont multiples et font tanguer nos équilibres – essayer de les hiérarchiser pour s’incliner sans jamais savoir devant qui ou quoi !!
Qui donc me tient debout la tête hors de la boue ? Pour savourer les dons subvenus, pour repérer les pistes …
Savoir les reconnaître et les nommer avant de s’y aventurer.
Une missive de révolte :
j’ai découvert dans une Église du sud (dept 83) que la communion se reçoit maintenant agenouillé sur deux prie-Dieu, comme dans le temps !! Où sont Vatican 2, les JMJ et les femmes.
Ainsi, il n’est pas illogique que nos églises comportent que des anciens et des prêtres mâles. Nous sommes dans une voie sans issue….et on accélère !
Bien cordialement.