Galla Placidia, l’impératrice face aux grandes migrations
Galla Placidia est trop peu connue. Elle l’est assez bien en Italie, et commence à l’être dans les pays anglo-saxons, ce qu’illustre cette vidéo, assez vraie dans son contenu plus que dans sa forme….
Mais en France, qui la connaît? Bien peu d’entre nous, et c’est dommage. Pourtant, ce n’est pas pour cette raison que je m’y suis intéressée, mais parce que l’histoire de sa vie, quand je l’ai connue, ne m’a plus quittée.
La voici, en quelques lignes.
La vie de Galla Placidia, que j’appellerai parfois seulement Placidia, car Galla est le nom de sa mère, est si riche et si proche de nous, malgré la distance des siècles, que dès l’instant où son nom a été prononcé devant moi, il y a plus de quarante ans, je ne l’ai jamais l’oubliée. J’ai rencontré cette femme à Milan, dans l’église Sant Ambrogio, devant un sarcophage célèbre, celui de son père adoptif, Stilicon, un général barbare du Ve siècle injustement assassiné. Le vieux prêtre ami qui m’en parlait prononçait son nom à l’italienne, enflant la dernière syllabe, ce qui donnait au nom de ce général une épaisseur singulière.
Peu après je me suis rendue à Ravenne, et là, entrant dans le mausolée de Galla Placidia, un oratoire de briques grand comme une maison de poupée, j’ai été rejointe. Saisie jusqu’à me perdre sous ce manteau de ciel sombre pailleté d’étoiles. J’ai mis ma main sur la pierre froide de ces sarcophages silencieux et énigmatiques et, levant les yeux, j’ai cherché à entendre, dans le silence du lieu, et sous la lumière douce des fenêtres d’albâtre, le roucoulement des deux tourterelles que la mosaïque illustrait. Longuement je me suis désaltérée de cette beauté. C’était elle, cette femme dont je ne connaissais que le nom qui avait commandé à des mosaïstes, sans doute Syriens, cette œuvre incomparable, elle qui en avait suivi l’avancée et choisi les scènes.
Á partir de ce moment, mon esprit s’est posé là, entre Stilicon et Placidia. D’un côté, il y avait la violence de ce siècle de fer, de l’autre ce sanctuaire de confiance et de paix. Mystère que cela soit. Depuis je rassemble les bribes de cette histoire et j’attends qu’elles s’accordent. Capturée en 410 ap. J.C. dans Rome livrée aux Barbares, entraînée à leur suite, épouse de son geôlier, devenue l’une des premières reines de Gaule, en Aquitaine, Placidia a retourné un destin en chance.
Non seulement elle a survécu, mais elle a tenu en main les rênes de l’Empire, par le seul moyen alors reconnu aux femmes, celui de la régence. Seule femme de toute l’Antiquité à mériter authentiquement le titre d’impératrice, elle a régné sans se renier, fermement arrimée à Rome et aux Goths qu’elle avait appris à aimer. Comment ? Par sa foi en un christianisme universaliste, jeune encore, riche de trésors inexplorés, et déjà conquérant, pour le meilleur et aussi pour le pire.
Ce qui rend Galla Placidia si fascinante et si proche, c’est qu’elle a su se tenir au-dessus de l’abîme. Pas dans l’évitement, mais en payant de sa personne. Á certains égards, nous sommes dans la même situation. Notre société est traversée par un désordre rampant, une contestation presque radicale, un désordre qui part des profondeurs de notre inconscient collectif et auquel aucune solution ne semble répondre.
Pas plus que nous, Galla Placidia n’a compris pourquoi vient le chaos. Elle n’a d’ailleurs pas su qu’elle serait la dernière figure forte de cet empire agonisant. Sans doute est-ce pour cela qu’elle ne s’est pas résignée. Elle a agi. Elle a affronté des forces de réaction puissantes et obstinées. La peur, toujours…. Intelligemment, elle a contenu le pouvoir des militaires dont elle ne pouvait se passer -la politique, déjà-, elle soutenu l’Église montante -l’espoir, cette fois.
Sa feuille de route ? Continuer à intégrer les Goths dans l’Empire, esquisser l’ébauche d’un système monarchique, léguer l’Empire à l’Église. Mais c’est une figure tragique. Si elle n’est pas morte par l’épée comme tant d’autres, elle a cependant porté le deuil de ses projets. Et de ce désespoir est né le ciel étoilé de Ravenne…
En cela, elle est une prophétesse de l’espérance qui, à contre-temps, a entretenu le feu de la vie et l’a vu s’abîmer dans l’orage. Galla Placidia est une passeuse dont les pas ont porté loin. Le Moyen Age retrouvera ses intuitions et leur donnera corps.
Que sa vie soit un roman et qu’elle soit utile à notre temps, j’espère l’avoir montré ; mais pourquoi moi ? Pourquoi une militante des droits des femmes dans l’Église catholique écrit-elle un roman historique ? Parce que les femmes d’aujourd’hui manquent de sœurs aînées. Elles les cherchent dans les méandres d’une histoire qui leur a légué quantité de frères mais bien peu de sœurs. « Témoin », un mot qui cherche encore son féminin…
L’histoire de Galla Placidia a besoin d’être racontée. Par la magie d’un récit, sa vie peut s’accomplir, tandis que grandit celle de ses lecteurs.
Editions du Cerf, avril 2025, 22€