Quelques conclusions à tirer des jeux paralympiques
Les jeux paralympiques s’achèvent et, déjà, tout le monde s’accorde à reconnaître que c’est un grand succès. Aux très nombreux commentaires qui en font état, je voudrais ajouter un regard de croyante. Pour ceux et celles qui sont religieux, chrétiens en particulier, ce succès est réconfortant. Il permet de vérifier que la cause du plus faible, du petit, du fragile, de l’éprouvé par le sort, qu’il soit handicapé, malade, mental autant que physique, prisonnier, exilé, apatride, migrant, et plus généralement exclus, portée par la plupart des religions, en particulier par le Christ, et indéfectiblement assumée depuis les origines par les Églises chrétiennes, trouve de mieux en mieux sa place au sein des sociétés laïcisées.
Les Églises, catholique et protestantes, les plus représentées en France, peuvent être fières d’y avoir consacré autant de forces, en argent, en capacité à convaincre, et ceux qui l’ont encouragée de leurs dons et de leurs compétences peuvent s’en féliciter.
Quant aux États, s’ils ont très tôt été acquis à cette conviction, il a souvent fallu attendre longtemps pour qu’ils en fassent des priorités. En France, ce n’est qu’au 19e siècle que la contribution de l’État au bien de tous deviendra effective. Un seul exemple : en 1841 seulement, le travail des enfants de moins de 8 ans a été interdit, à la suite du rapport Villermé de 1840 qui avait levé le voile sur la mortalité infantile dans les manufactures de coton de la région de Mulhouse.
De nos jours, le sort des personnes handicapées est largement pris en compte, même si nous avons entendu au cours de ces jeux que les infrastructures publiques restaient insuffisantes, en particulier en matière de transport. Peut-être faudrait-il envisager qu’une pétition demande le lancement d’un emprunt qui leur soit consacré ?
Je voudrais surtout constater avec vous que le pas franchi pendant ces derniers jeux n’est pas institutionnel, il est de considération. C’est la qualité du regard qui a changé. Certes, la personne handicapée fait partie depuis longtemps de notre monde. Mais elle est vite considérée comme « à part ». Combien de familles évitent encore de livrer aux regards des passants leur enfant atteint d’une malformation physique ? Et combien de regards de commisération, hautains, semblent dire leur soulagement d’avoir échappé à « ça » ? Parfois, au contraire, le regard est fuyant : je me détourne car je ne sais comment bien me comporter : dois-je voir le handicap, ce qui peut être mal reçu, ou l’ignorer, ce qui l’est parfois tout autant ? Elle est longue la panoplie des malaises éprouvés autour du handicap, que ce soit par les handicapés ou par des tiers…
Mais, par le miracle de ces jeux, si les personnes handicapées restent handicapées, elles s’affichent maintenant du côté de la performance et c’est tant mieux. Et elles le font sans crainte des regards, dans une atmosphère bon enfant et dans un bel esprit de solidarité. Beaucoup ont remarqué cette athlète se retournant pour voir si l’une de ses consoeurs tombée au cours de la course ne s’était pas blessée.
Attentive, presqu’émue, je voyais, depuis ma télévision, les gradins -remplis pour la 1ère fois, selon les organisateurs- en particulier de familles accompagnées de jeunes enfants et je me suis dit que ce ces parents avaient de sacrées bonnes idées de les y avoir emmenés. Certes, il y a la fête, le sport, le drapeau que l’on agite, la médaille, mais aussi matière à une formidable leçon d’éducation :
« Vois ce que représente, pour un aveugle de jouer au foot, pour un nageur sans bras ni jambes d’onduler dans l’eau -comme si c’était simple !-, pour un coureur de confier son corps à la tige métallique qui lui tient lieu de jambe! Vois et admire l’effort continu de ces années ajoutées les unes aux autres – ces athlètes sont souvent des quadragénaires- où il a fallu vaincre la souffrance des opérations pour installer des prothèses, dominer ses peurs, celle de la chute, celle de l’échec ou du découragement. Vois que la compétition à laquelle tu assistes, c’est d’abord celle que mènent ces athlètes contre leurs propres freins, leurs propres handicaps, et non d’abord contre l’athlète d’un autre pays, comme il pourrait en être lors d’autres compétitions sportives. La victoire, elle est sur eux-mêmes. Quelle leçon ! Vois, admire, applaudis et toute ta vie, respecte-les ».
Pour des enfants, ces sportifs handicapés sont de formidables tuteurs : sans longs discours, par l’exemple, ils transforment l’image lourde, parfois chargée de culpabilité, qu’ils pouvaient parfois, malgré eux, donner d’eux-mêmes. Oui, ils ont parfois toujours besoin d’un guide sur les stades, mais ils ont acquis une considération morale nouvelle. D’assistés, ils deviennent enseignants, nos maîtres à tous, quel que soit notre âge.
Le progrès vers lequel ils nous entraînent est celui d’une meilleure acceptation de l’autre, avec sa différence. Car les gens valides se prennent volontiers pour la norme, mais cette notion n’est-elle pas à relativiser ? Ceux et celles qui souffrent d’un handicap savent combien cette différence leur a coûté. N’est-ce pas grâce à ces jeux qu’elle peut être moins lourde à porter ?
Je suis donc ce soir, pleine de gratitude pour ceux qui ont eu cette intuition prophétique de créer des jeux paralympiques. De rencontre en rencontre, nos mentalités se transforment. La famille humaine devient -au moins sur ce sujet- plus fraternelle (et sororale, bien sûr !). Si Jésus a accepté la Croix, en toute liberté, c’est pour que personne ne reste sur les marges, écarté du banquet de la vie. Pour que l’humanité soit une, non divisée par les jeux de pouvoir, l’ignorance de l’autre, les préjugés, les compétitions en tous genres, que ce soit celle de l’eugénisme, du rendement au travail ou de la couleur de peau. Tout ce qui divise est l’œuvre du Diviseur (le diable, en grec diabolos, le diviseur). Le Christ, lui, a voulu relier. Avec ces jeux, un petit pas de plus a été franchi dans les liens entre nous tous.
Je crois que ce soir, là-haut, le Bon Dieu est content.
Anne Soupa