Non à l’antisémitisme : Lettre n° 22 du Forum de l’évêque
Chers amis, chères amies du Forum de l’évêque, disons « Non à l’antisémitisme »
Une fois n’est pas coutume, ce courrier répond à l’urgence. Il invite à dire « Non à l’antisémitisme ». Je devine votre lassitude et je la partage. « Encore une fois ! Oui, nous aimerions tous penser que la cause est définitivement entendue, que ce poison est écarté, et pouvoir nous mobiliser pour autre chose, le climat, la résolution de nos conflits sociaux, le renouveau espéré d’un christianisme d’ouverture… Mais voilà… L’antisémitisme en France est là.
C’est sur ce refus absolu et non négociable que se fondent les présidents de l’Assemblée Nationale et du Sénat pour appeler à une mobilisation citoyenne, dimanche 12 novembre. Á Paris, mais aussi auprès des préfectures de chaque département. Bien sûr, leur appel est utile. Pour ma part, j’irai défiler. Laissons tomber les arguties invraisemblables de la France insoumise pour se dérober, au motif qu’ils côtoieraient le Rassemblement National, et résistons aux hésitations qui nous feraient craindre de cautionner Israël en y participant. Rien de cela ne tient.
Regrettons aussi la prise de position de Mgr de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France. Il a, dans un souffle, annoncé que des représentants de la CEF s’y associeraient, mais qu’il ne voulait pas peser sur la conscience des fidèles en donnant la moindre consigne. Je m’étonne de cette frilosité. En 2013, lorsqu’il s’agissait de contrer la loi sur le Mariage pour tous, l’épiscopat avait une autre insistance ! Pourtant, lutter contre l’antisémitisme n’est-il pas plus important que de contrer l’homosexualité ? Alors aujourd’hui, si les évêques ne sont pas au rendez-vous, que les simples fidèles y soient ; ils ne feront que leur devoir.
Demandons-nous d’abord comment cet appel se justifie. Avec quelques rappels simples et je l’espère, clairs.
Premier constat, le problème se pose en France. Ne le confondons pas avec le conflit du Moyen-Orient. Est-ce en France que le Hamas s’est déchaîné ? Est-ce en France que l’on bombarde des civils ? Ayons donc la rigueur et la sagesse de ne pas laisser se propager chez nous un conflit sur lequel nous n’avons pas prise, sauf pour risquer de le subir. L’heure est à mettre des pare feux, non à se laisser embraser par l’excitation actuelle.
En France, nos concitoyens juifs ne sont plus en sécurité. Leur protection est de plus en plus difficile à satisfaire, la peur s’installe dans les communautés juives, les liens sociaux se distendent, même les rencontres inter religieuses se font plus frileuses. Entre le 7 octobre et le 5 novembre, il y a eu 1040 actes antisémites contre 400 sur l’ensemble de l’année 2022. Même si l’on a de sérieuses raisons de penser que la Russie a commandité les tags antisémites placardés sur des maisons, la réalité est là. Il faut donc refuser de nier cet antisémitisme, au motif qu’il serait le fruit de la sensibilité ou de la mémoire des traumatismes anciens subis pas les juifs, ou encore d’une islamophobie aveugle. C’est une faute de se croire non concerné, de remettre à plus tard. L’avenir pourrait nous le reprocher.
Une fois cet antisémitisme identifié, reste à le dénoncer, par des actes ou des prises de position, en famille, dans un environnement associatif, amical ou paroissial. Sans se lasser… Pour moi qui n’en suis pas à ma première campagne, ce combat a quelque chose de Sisyphe qui roule son rocher, lequel retombe chaque soir. Mais s’il faut y revenir, c’est parce que l’antisémitisme plonge ses racines en notre intime, qu’il peut donc renaître à chaque génération, et qu’il se réveille lorsque surgit un nouveau problème, politique ou social.
La psyché en est toujours la source. L’ennemi que je me fabrique est la projection d’un malaise dont je cherche désespérément hors de moi la résolution. Et tant que le problème interne ne sera pas résolu, un nouvel ennemi remplacera celui que j’ai cru vaincre. C’est ainsi que prospère le rassemblement national. Né anti-juif, il est désormais anti-musulman. L’antisémitisme est donc, intellectuellement, une stupidité. Mais une stupidité grave, car cet engrenage est une Terreur dont le poison est bien connu. Il vomit de la suspicion, une crise de la parole et de la confiance, et d’innombrables procès d’intention. En voulons-nous ?
Le second facteur qui nourrit l’antisémitisme est l’irruption d’un problème politique ou social non résolu. C’est dans cette impasse qu’a sombré Israël peu après les accords d’Oslo dont nous venons de fêter le 30e anniversaire, et l’assassinat d’Yitzhak Rabin qui l’a suivi de deux ans. Oui, il y a une généralisation et une banalisation antisémites qui se nourrissent des griefs contre Israël. Griefs qu’il faut entendre. Le prolongement cohérent du rassemblement de dimanche serait de s’atteler au règlement politique de ce conflit à la complexité diabolique. Des signes de négociation apparaissent, espérons qu’ils se confirment. La régression de cet antisémitisme est sans doute à ce prix. Là aussi, lucidité et courage sont indispensables.
Enfin je rappelle que pour un chrétien, l’antisémitisme est un non-sens, une nouvelle mise à mort du juif Jésus.
Anne Soupa